Encart « Sur le chemin du passeur » – « Accompagner les renoncements, renoncer soi-même parfois, douter, agir, apprendre, avancer dans l’adversité »
« Compostelle »

Retrouvez ici les encarts « Sur le chemin du passeur » présents dans l’ouvrage.
Nous vous invitons aussi, à consulter les notes bibliographiques situées sous le texte.
- A la une, Encarts "Sur le chemin du passeur"
- septembre 24, 2024
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- Olivier Erard
Le chemin du passeur n’est pas un chemin banal, il est aussi transformateur pour le passeur que pour le système (note n°021).
Le passeur va accompagner des renoncements, mais il aura lui aussi à renoncer parfois et sera soumis à un doute permanent qui risque de le fragiliser.
Comme sur le chemin de Compostelle, les pérégrinations sur le chemin du passeur sont d’abord un dépouillement vers soi (Jung parlerait sans doute de l’individuation).
Pour se lancer sur le chemin de la transition, le passeur a intérêt à avoir de solides bases éthiques, philosophiques, de connaître ses valeurs, son souffle vital (note n°022), ce à quoi il ne peut pas renoncer, sa boîte noire, ce qui reste quand tout s’effondre (note n°023).
Le passeur est une personne qui se connaît ou accepte de se connaître au cours de processus de transformation ; il ne peut pas rester indemne (note n°024) sur le chemin de la transition.
La transition nécessite des transformations.
Le terme transition est sans doute mal choisi (note n°025) et c’est bien normal, il est choisi par des gens qui ne veulent pas changer. Le terme transition désigne un mouvement d’un point A vers un point B. C’est donc la promesse d’un atterrissage vers une nouvelle stabilité, la transition n’étant finalement qu’un mauvais moment à passer pour une destination espérée stable, voire idyllique. Dans ce cas, la destination prime sur le chemin.
En réalité, les enjeux planétaires sont tels que désormais ces adaptations rassurantes ne sont plus à la hauteur : il s’agit d’engager de vraies transformations. Alors le mouvement devient le principe fondateur, le changement devient la norme.
La « vraie » transition est une montagne à gravir dont on ne connaît pas le sommet.
Cela bouscule le système et aussi le passeur ; cela peut fragiliser le passeur et lui révéler des aspects inédits de sa personnalité.
Comme lorsque l’on s’engage sur un chemin inconnu, il est important de bien identifier le point de départ en établissant un diagnostic sans concession, puis de se laisser porter par son intuition (comme l’étoile de Compostelle).
Sur le chemin, ce qui compte, ce sont les dimensions humaines, ce capital non productif, mais créatif ; le passeur cherche à révéler les capacités créatrices des humains enfermés dans un système (note n°026). Le processus est une affaire humaine donc sociale : le passeur ne doit pas rester seul, il doit prendre une place dans le système et avoir conscience de son rôle d’acteur du système.
Au sein du système, son geste se porte vers la diversité des humains. La compréhension des personnalités et des interactions qui se produisent dans cette richesse est un levier important de transformation.
Le chemin du passeur est un chemin initiatique sur lequel il va vivre des épreuves. C’est une sorte de quête du héros (note n°027). Ces épreuves révèlent des fragilités et des forces.
En agissant dans le système, le passeur devient lui-même un élément du système sur lequel les parties prenantes vont agir. Il n’est pas neutre. Dans un système, tous les acteurs sont embarqués directement ou indirectement dans les épreuves ; ce sont des occasions de révéler des liens forts, des automatismes, des coutumes.
Michel Crozier et Erhard Friedberg (note n°028) ont posé sur les organisations humaines des éléments théoriques très utiles pour le passeur. Ils ont notamment identifié différents niveaux de pouvoir : celui du leader, ceux des acteurs, celui de la règle et enfin celui du marginal sécant.
Le passeur est un marginal sécant (note n°029) qui intervient dans un contexte très perturbant pour le système, tellement que cela en remet en question la finalité.
Michel Crozier et Erhard Friedberg définissent le pouvoir comme le niveau de contrôle que l’on possède sur les incertitudes.
Puisque la transformation place les incertitudes au cœur des processus, cela perturbe les jeux de pouvoir en place et les mouvements qui s’opèrent sont autant d’indicateurs de l’évolution ou de la résistance du système organisé.
Les épreuves qui en découlent peuvent être appréhendées comme des batailles, à l’image de ce qu’enseigne Sun Tzu dans L’Art de la guerre (note n°030=, voire Machiavel dans Le Prince (note n°031).
Incertitudes, pouvoirs, batailles…, ce n’est vraiment pas confortable pour le passeur !
Mais si on ne touche pas ces difficultés, on passe sans doute à côté de la transformation (note n°032).
Une organisation humaine vit avec ses automatismes, ses coutumes et ses équilibres de pouvoirs. Le passeur les voit mais ne les juge pas, il observe les jeux de pouvoir, notamment lors des épreuves. Il profite de cette observation pour affirmer et montrer qu’il ne veut pas d’autre pouvoir que celui de la marge ; il utilise les incertitudes de l’environnement. Par ce geste, il diffuse progressivement des tensions de sorte à faire bouger les lignes pour que jaillissent les habitudes et les freins.
Les épreuves jouent le rôle de révélateur.
Le passeur permet alors aux acteurs d’entrer dans le jeu de la transformation, sous l’œil approbateur du leader et l’indulgence des faiseurs de règles.
Il n’y a rien d’autre à faire que laisser faire, et observer.
Le passeur peut s’inspirer du « non-agir » (note n°033) de la philosophie taoïste (wu wei) : par son intention, il pose une tension qui provoque un mouvement, ce qui va engendrer des modifications et ouvrir des failles, offrir des opportunités. Alors, le passeur agit.
En faisant alliance avec le leader, le passeur sait qu’il va agir de la sorte ; il passe un accord avec le leader (note n°034) qui lui donne sa confiance sans toutefois savoir comment le passeur va agir.

Texte d’Olivier Erard avec la contribution de Stéphane Durand, extrait de l’ouvrage « Le passeur » aux éditions Inverse///

Notes attachées au texte. Rédigées par Stéphane Durand.
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Note n°021 – Vouloir changer le réel, c’est accepter de changer sa perception du réel… Retrouvez ici la note et les références bibliographiques présentées dans le livre ainsi que d’éventuels compléments ! Notes et bibliographie septembre 22, 2024 No Comments Stéphane Durand Le passeur n’est pas un sachant. S’il est porté par des convictions, que son action est modelée par ses croyances et valeurs, sa vision du monde n’est pas assurée, les solutions qu’il imagine ne sont pas définitives et il le sait. Il sait qu’il ne sait pas. Il sait aussi qu’il ne sait pas toujours ce qu’il ne sait pas… Si sa raison d’être est d’accompagner un système d’acteurs à s’interroger sur leur trajectoire et les aider à l’infléchir, il n’est pas celui qui, tel un leader, développe une vision et cherche à la réaliser. Une de ses principales qualités réside en ses capacités d’apprentissage situationnel. C’est-à-dire, la capacité qu’il a à apprendre des situations qu’il vit. Pour celui qui sait que l’apprenance est vitale pour évoluer sereinement en situation complexe, le chemin est source de connaissances nouvelles qui confirment ou infirment celles acquises, qu’elles soient de l’ordre des savoirs, des opinions ou des croyances, telles que les développe Guillaume Lecointre dans son ouvrage : Savoirs, opinions, croyances. Une réponse laïque et didactique aux contestations de la science en classe, Éditions Belin, 2018. « Savoirs, opinions, croyances. Une réponse laïque et didactique aux contestations de la science en classe », Guillaume Lecointre, Éditions Belin, 2018.
Note n°022 – Se connaître soi-même pour aider les autres
Note n°022 – Se connaître soi-même pour aider les autres Retrouvez ici la note et les références bibliographiques présentées dans le livre ainsi que d’éventuels compléments ! Notes et bibliographie septembre 22, 2024 No Comments Stéphane Durand Le passeur est dans une forme de relation d’aide. Une forme, car une des conditions de l’aide apportée aux autres est que l’aide soit sollicitée. Dans le cas du passeur, si quelques personnes éclairées sont conscientes du besoin de changer le système, bien souvent les personnes accompagnées dans une démarche de transformation, si elles sont en partie conscientes des enjeux de la transformation, elles n’ont bien souvent aucune idée de la hauteur de la marche à gravir et de ce que cela sous-entend pour elles. Aussi, dans les systèmes socioéconomiques engagés dans une démarche de transformation, le passeur s’adresse « au système » et à quelques personnes et collectifs qui le constituent. La grande majorité des parties prenantes, à l’échelle d’un territoire, n’ont même pas conscience de ce qui se passe. Comme dans toute relation d’aide, l’aidant ne peut aider que s’il se connaît lui-même et soit en capacité de limiter l’influence de ses biais dans la manière d’analyser les situations et d’agir dans le système. Pour avoir un aperçu des multiples biais qui peuvent déformer notre représentation du réel, le codex des biais cognitifs issu des travaux de John Manoogian et de Buster Benson est intéressant à consulter. Codex des biais cognitifs issu des travaux de John Manoogian et de Buster Benson.
Note n°023 – Ancre de certitude
Note n°023 – Ancre de certitude Retrouvez ici la note et les références bibliographiques présentées dans le livre ainsi que d’éventuels compléments ! Notes et bibliographie septembre 22, 2024 No Comments Stéphane Durand Comme pour chacun des acteurs du système, le passeur a besoin « d’ancres de certitude ». Voir ce concept développé par Philippe Vallat, expert postures et pratiques managériales adaptées à la complexité, dans une série de deux articles dédiés à ce sujet. La peur (Inconfort et ancres de certitude 1/2). Philippe Vallat. La sérénité (Inconfort et ancres de certitude 2/2). Philippe Vallat
Note n°024 – « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort » (F. Nietzsche)
Note n°024 – « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort » (F. Nietzsche) Retrouvez ici la note et les références bibliographiques présentées dans le livre ainsi que d’éventuels compléments ! Notes et bibliographie septembre 22, 2024 No Comments Stéphane Durand Le passeur ne décide pas d’endosser ce rôle qui est un rôle dit « émergeant ». Un rôle émergeant tout comme celui du leader contextuel qui se découvre au gré des situations, une capacité consciente à influencer la construction du réel à l’échelle d’un système socioéconomique qui dépasse le simple cadre de ses prérogatives officielles. Endosser le rôle de passeur n’est pas de tout repos et ce dernier va souvent s’en apercevoir à ses dépens. S’il accepte cette mission « impossible », il signe tacitement cet engagement moral à apprendre, parfois, bien souvent, dans la tourmente. « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort » : Cette citation de Friedrich Nietzsche raisonne alors comme une forme de mantra lui donnant des raisons de poursuivre sa mission dans l’inconfort, la conscience et l’acceptation de se transformer lui-même. À l’instar des disques imaginaux, structures cellulaires à partir desquelles le processus de transformation d’une chenille en papillon peut se développer, le passeur se dissout au cours du processus de transformation d’un système socioéconomique. Ainsi, s’il ne veut pas « trépasser » au cours de ce processus de plusieurs années, voire décennies, le passeur finit par passer la main à d’autres acteurs qui deviennent alors plus aptes à poursuivre le projet.
Note n°025 – Une transition ou des transitions ?
Note n°025 – Une transition ou des transitions ? Retrouvez ici la note et les références bibliographiques présentées dans le livre ainsi que d’éventuels compléments ! Notes et bibliographie septembre 22, 2024 No Comments Stéphane Durand Les défis du XXIe siècle appellent le traitement simultané de multiples transitions dont les issues sont incertaines. Transition énergétique, économique, des mobilités, du tourisme et des loisirs, de l’agriculture, des territoires de montagne, etc. Si, en théorie, nous pouvons envisager d’engager, de manière dissociée, ces différentes transitions, en réalité, elles sont interconnectées par bien des aspects. Elles nécessitent de reforger des fondations communes, dont les finalités poursuivies par nos sociétés. C’est à ce titre que parler de « transition » voire de « transitions » est impropre et que l’expression « transformation » est plus adaptée.
Note n°026 – Émergence
Note n°026 – Émergence Retrouvez ici la note et les références bibliographiques présentées dans le livre ainsi que d’éventuels compléments ! Notes et bibliographie septembre 22, 2024 No Comments Stéphane Durand Le moyen d’action le plus efficace dont dispose le passeur, son activité principale, est de stimuler les émergences. C’est-à-dire repérer des initiatives, des pratiques, des comportements, des idées, des actions qui vont dans le sens de changer de modèle en cohérence avec les finalités et les principes d’une démarche de transformation, et de les aider à se développer. Le passeur aide ces acteurs à mobiliser des ressources, à obtenir de la visibilité, à mobiliser des méthodes adaptées. Il permet également la protection de ces espaces d’expérimentation qui sont appelés « bulles culturelles » dans la démarche Smart Transformation System développées par la société Synergies & Développements mobilisée dans le Haut Doubs. Il agit afin qu’elles puissent montrer les potentiels qu’elles permettent de créer et s’ancrer dans un écosystème a priori hostile à toute innovation sociale de rupture. Dans le cas où les émergences sont difficiles à repérer ou en trop faible nombre, le passeur peut stimuler les capacités créatrices du territoire en proposant des expérimentations à des acteurs volontaires. Pour aller plus loin sur le concept des émergences ci-dessous, des liens à explorer. Concept Smart Transformation System, développé par Synergies et Développements. Article écrit par un collectif de chercheurs marocains (Amine BELEMLIH, Ahmed BENABADJI, Laila BENNIS, Hammad SQALLI) : Pour un Maroc des émergences : à la recherche d’une société inclusive et durable. Article de Nicolas Salerno « Les Événements et la Méthode » – Société Française de Cliodynamique